Prendre le temps

 

Le déluge de l’information : vision éthique du monde actuel.

Nous vivons une époque assez particulière qui a été déjà énormément critiquée : société de spectacle (Guy Debord), société écrasée par la puissance de la science, d’internet…

Il y a un point que je voudrais relever comme un constat de notre monde moderne, quelque chose d’essentielle est en train de se perdre, à savoir : le temps.

Arthur Cravon demande à André Gide  « où en sommes-nous avec le temps ? » Gide sort sa montre et lui dit « il est six heures et quart »

Comme quoi l’aspect métaphysique et existentiel du temps se résume à dire l’heure qu’affiche le cadran de notre montre !

Nous sommes dans une époque qui nous bombarde d’informations par la télévision, les radios, le net… Les amis rajoutent aussi leurs propres informations à chaque instant par Facebook, twitter, whatsapp etc... Nous sommes engloutis par ce qui se passe à chaque minute, chaque instant en temps réel.

Vertiges d’actualités. Déluge d’information.

Notre propre présent (comme on disait autrefois, il faut savoir vivre son présent) est devenue l’actualité de l’information provenant de tout cet extérieur.

En bref, nous ne vivons plus que dans un présent qui ne s’arrête pas, qui sans cesse nous convoque à la nouvelle qui vient d’arriver de whatsapp, du net, de la télé…..

« Notre vie intérieure est parasitée 24h sur 24 par un déluge d’informations, au point de se demander si nous pensons encore, et si c’est même nécessaire de penser ? » (Repris d’une interview de l’écrivain Philippe Sollers au journal le monde qui a  d’ailleurs inspiré cet article)

Revenons sur le temps. Il n’y a donc aujourd’hui que le présent qui compte, l’actuel de l’actualité. En conséquence, il n’y a plus d’intériorité, plus de vie intérieure. L’extérieur pénètre jusque dans notre chambre à coucher. Nous sommes « branchés » même dans l’intime. La société, l’extérieur a envahi la vie intérieure.

Combien il est fréquent d’entendre  qu’il est devenu très difficile d’arriver à lire plus de 20 lignes ! Combien, parmi la jeunesse d’aujourd’hui, lisent les grands écrivains du 18 e et du 19 e ! Qui s’intéresse à la musique de Mozart ou à un tableau de Manet !  Ce qu’on a oublié aujourd’hui c’est que pour avoir un présent, une vie intérieure, encore faut-il avoir un passé !

Pour avoir un passé il faut avoir le temps et le temps est précisément ce qui nous manque. On nous l’a volé par ce déluge de l’actualité.

Il se peut qu’un des derniers lieux où l’on prend (de force) du temps est lors de ces moments privilégiés, ces quelques minutes ou l’on va chez le psy, ou l’on arrête l’histoire subie du présent et que l’on repense à travers son passé.

S’il n’y a plus de vie intérieure, le présent devient mon sms ; l’amour devient pornographie ; la musique devient rythme ; la peinture un dessin ; l’autre un objet ; la politique du racisme… Car être collé à tous les instruments de l’actualité, nous a absolument instrumentalisés.

Alors, on peut soit devenir nihiliste et ne plus croire en ce monde en se laissant totalement submerger par ce qu’il est devenu, soit on peut choisir de se créer du temps pour être libre de cette instrumentalisation, en s’intéressant à lire, à écouter et à ressentir, et ainsi à découvrir notre vie intérieure.

Une fois ouverte cette porte de l’intériorité, l’autre ne sera plus lui aussi un objet ou un instrument, l’autre sera l’occasion d’une rencontre

Combien de couples disent nous vivons ensemble, l’un à côté de l’autre pourtant j’ai l’impression d’être seul, l’autre n’est pas là !

Certes il n’est pas là, car il n’a pas de vie intérieure, il est pris par le vertige du monde qui court. Il se noie sous le déluge de l’information. Etre là, avoir du temps permet enfin de se rencontrer et de rencontrer l’autre.

Certes Lacan disait, « il n’y a pas de rapport sexuel »,  toutefois cela n’exclu pas le fait qu’il y ait des rencontres. J’entends par rencontre, un évènement qui se produit lors d’un échange vrai entre deux personnes. Parfois notre rencontre avec un autre nous bouleverse, nous transforme et nous permet d’enclencher un nouveau départ dans notre existence. Encore faut-il que cet autre soit quelqu’un ! Rencontrer celui qui est collé à ce que la masse pense ne peut en aucun cas nous permettre de découvrir quoique ce soit de nouveau. Celui qui est hors-masse, celui qui est un peut faire que chaque instant de notre vie soit une véritable rencontre productive. Ce type de rencontre ne nous laisse pas indemne.

Etre quelqu’un signifie avoir une vie intérieure, et cela ne peut se réaliser sans s’écarter et prendre une certaine distance avec ce monde extérieur (télévision, internet, déluge d’actualités…) qui nous transforme en masse pensante et agissante par identification. On sort alors de l’hypnose collective pour se forger sa propre individualité ! (il est incroyable de constater combien l’hypnose est revenue à la mode pour régler tous les problèmes psychologiques et autres, cela en dit long sur notre société !). Bref, il est grand temps de retrouver des morceaux d’instant si précieux pour se créer une intense vie intérieure qui permette de réelles rencontres.