la fabrique des pervers


La fabrique des pervers narcissiques.

1/Qu’est qu’un pervers ? Comment cela se fabrique ?

L’écrivaine Sophie Chauveau nous offre le témoignage bouleversant d’une famille envahie par l’inceste et l’incestuel dans son livre  la fabrique des pervers écrit en 2016. On ne sort pas indemne de la lecture de cet ouvrage poignant.

L’intérêt de ce livre est qu’il n’est pas un simple récit, ni la mise à nu d’une histoire et d’un roman familial, mais il pose une question et réfléchit en vue de cerner ce qu’est un pervers. Sophie Chauveau trouve à plusieurs reprises des formulations extrêmement justes et pertinentes qui dessinent le portrait de ce type de personnes. Exemples : (au sujet de son père qui abusait d’elle) « il usait des uns, des autres, pour son seul plaisir, au mépris des uns comme des autres… », « J’ai mis des décennies à découvrir, atterrée, à quel point il ignorait l’existence des autres… », « Personne dans son entourage direct n’était à ses yeux pourvu d’autonomie, d’existence indépendante… », «  Toujours au centre de son univers, avec pour but son seul bon plaisir, sa satisfaction la plus facile…», « On aurait dû le traiter pour cette pathologie mentale : un manque total d’altérité. »

La question du pouvoir est à mon avis la question centrale du pervers. Il abuse de son pouvoir et ce manque total d’altérité signifie que pour lui, l’autre est un moyen et un outil pour arriver à ses fins. Il a comme un droit et un pouvoir de jouissance sur et de l’autre. Rappelons que la définition de jouir est soit, tirer un plaisir et une satisfaction soit, avoir la possession d’un bien ! Donc le pervers jouit ! Et il jouit de tout ce qu’il veut, l’autre n’est pas une limite, mais un défi !

L’inceste est l’exemple le plus violent de la perversion. Comment un parent peut-il abuser de son enfant ? Le père pervers pense que c’est  son enfant, en ce sens qu’il lui appartient. Et qu’il a donc tout pouvoir sur lui. Voilà ce que dit Sophie Chauveau : « L’esprit de propriété. Avoir déposé un peu de leur précieux ADN dans le corps d’un autre les autorise à considérer cet autre comme un prolongement d’eux-mêmes, leur appartenant en propre, avec licence de lui faire subir tout ce dont ils rêvent »

Du pouvoir à la perversion, la pente est très glissante. Combien d’hommes de pouvoir n’ont pas franchi la limite ? Il suffit d’ouvrir n’importe quel livre d’histoire pour prendre acte de ce fait que le pouvoir rend pervers dans le sens où il donne l’impression que tout nous appartient. Alors certains abusent de ce pouvoir là où ils en ont, et les enfants malheureusement sont souvent les victimes de l’abus du pouvoir de l’adulte.

Christine Angot écrit Un amour impossible en 2015, elle raconte dans ce livre l’histoire d’amour de sa mère Rachel pour Pierre. Elle est secrétaire d’origine modeste, et lui est un pur intellectuel de culture bourgeoise. Il refuse de l’épouser mais ils vont avoir une petite fille. Ce père bourgeois va durant des années abuser et violer sa fille qui est en l’occurrence l’auteure de ce livre, Christine. En somme la thèse de Angot pour expliquer cette réalité inconcevable est que cet abus est un abus de pouvoir, une façon de dire et de marquer la différence de classe sociale, entre elle et son père. Cet homme humilie la mère et la fille pour assoir sa suprématie. « Il a ignoré l’interdit fondamental pour les ascendants d’avoir des relations sexuelles avec leur enfant. C’était peut-être un interdit fondamental, mais ça ne le concernait pas. Pas lui.(….) Il était au-dessus de ça (….) Ne pas reconnaitre un interdit qui s’applique à tous, c’est la distinction suprême (…)  lui, dans son monde supérieur. Et toi dans ton monde inferieur »

Retenons la leçon, le pouvoir rend souvent fou et pervers. Et il faut faire attention aux personnes qui n’ont comme objectif que leur propre jouissance avec un manque total d’altérité !

En conclusion, le critère pour déterminer qu’une personne est un pervers est son exercice de pouvoir pour que l’autre fléchisse coûte que coûte au gré de sa jouissance.

2/Le pervers et le narcissique.

Il ne faut pas confondre le pervers ainsi défini, et le narcissique. Le narcissique est celui qui pense constamment à sa propre jouissance et à son profit. L’enfant par définition est narcissique et il apprend petit à petit l’existence de l’autre. En outre ce monde moderne ne nous invite pas, malheureusement, à devenir adulte. Il nous pousse plutôt à la consommation sans borne, et à ne penser qu’à notre intérêt. Ce qui produit tant d’individus narcissiques et capricieux. On s’aventure trop rapidement à qualifier de pervers tous les narcissiques, ce qui n’est pas du tout pareil. Car être insistant, avoir des idées fixes comme l’enfant qui ne lâchera pas tant qu’il n’aura pas sa sucette, ne fait pas encore de nous des pervers narcissiques, mais uniquement de simples enfants gâtés qui méritent d’être un peu éduqués. En revanche le pervers est quelqu’un de dangereux,  qui est capable de faire du mal à l’autre car, par tous les moyens il aura ce qu’il veut. Parce qu’il est incapable  de se déprendre de quoi que ce soit pour s’éprendre de qui ce soit (Jacques  Angelergues)

Conclusion

Certes l’inceste reste exceptionnel, en revanche quand bien même il n’y aurait pas de passage à l’acte, combien de pères ou de mères établissent des liens incestueux avec leurs enfants ?

Paul-Claude Racamier est celui qui a imaginé l’expression « pervers narcissique », mais il a parlé aussi d’un autre concept celui de la « séduction narcissique ». La mère par exemple, par des mécanismes discrets, asservit le psychisme de l’enfant.  Cette séduction est inévitable pour que s’établisse le lien entre l’enfant et sa mère. Cependant l’enfant peut être, soit source de satisfaction pour la mère, soit elle peut exercer une telle pression sur l’enfant que son enfant devient son instrument.

Paul-Claude Racamier, explique ce qu’est l’incestuel, à distinguer de l’inceste pur, par ces termes : L’incestueux dans ce que nous connaissons d’ordinaire en analyse c’est le fantasme et le produit d’une symbolisation, tandis que l’incestuel ne résulte d’aucune symbolisation. Il est tout dans l’agir, pas forcément dans le génital de l’inceste, mais plus souvent dans des équivalents d’inceste qui sont des comportements à travers lesquels une relation de nature incestuelle transite. 

Ce qui signifie que la relation parent-enfant est parfois malsaine, et transgresse psychiquement -et non pas physiquement- certaines limites.

En somme je termine avec la formule de Françoise Dolto : « les enfants doivent enrichir notre existence mais ne pas être la raison de notre existence », qui peut à mon avis s’appliquer à toutes nos relations. L’autre doit enrichir notre existence et non être la raison de notre existence, et ainsi nous n’avons pas à être ni la raison, et encore moins l’outil de l’existence de l’autre.

Il peut être certaines fois nécessaire pour les personnes qui ont vécu toutes sortes d’abus d’adultes pervers, ou qui sortent d’une relation complexe avec une personne manipulatrice en vue d’instrumentaliser l’autre, de consulter et d’entreprendre un travail de reconstruction pour avoir un point de vue nouveau sur leur histoire.

Un point de vue qui leur soit propre et non imposé par ceux qui ont abusé de leur confiance. Le psychanalyste a pour fonction d’écouter la personne qui a souffert, cette écoute est vitale pour celui qui a tu et gardé au fond de lui des scènes et des impressions qui n’ont pas trouvé de mots pour former son propre jugement. Etre manipulé et abusé dans l’enfance par des adultes, ou être déjà adulte et être méprisé dans son désir, ou être instrumentalisé par un autre adulte, certes les traumatismes n’auront pas la même intensité pour l’un ou l’autre, néanmoins dans les trois cas, le repère n’est plus nous-mêmes mais cet autre qui a abusé et s’est infiltré au sein de nos représentations et pensées. Il est donc important de retrouver non pas confiance en soi, mais bien plus que cela, de trouver des mots propres à chaque personne, qui seront les siens et lui permettront d’avoir son point de vue pour retrouver sa liberté en usant de sa faculté de juger.