réflexion

L'agressivité dans le couple

Courte définition de l'agressivité

     L’agressivité s’exprime soit par la violence physique soit par la violence verbale ou psychique.

     Elle peut prendre différentes formes : la critique trop fréquente, le mépris, la moquerie, l’insulte… Ces comportements ont pour effet de rabaisser l’autre et de le dénigrer. De même, on peut dire que le mutisme, le fait de se fermer à la discussion, est une forme d’agressivité envers l’autre, qui se sent en conséquence rejeté.

     Mais l’agressivité s’exprime aussi par d’autres voies lorsqu’elle est étouffée. Ces voies sont celles du symptôme. L’éjaculation précoce, la frigidité, l’impuissance, voire la maladie sont des symptômes qui gâchent la relation amoureuse, la parasitent et font souffrir à la fois le sujet porteur du symptôme et le partenaire amoureux. L’agressivité refoulée peut parfois être la cause de ces troubles, car ces symptômes font souffrir le partenaire. C’est donc un moyen inconscient de lui faire du mal. C’est aussi une manière d’exprimer son agressivité envers l’autre sans l’assumer pleinement.

Peut-on vivre une relation amoureuse sans agressivité ?

     En fait, l’agressivité est un ingrédient de la vie du couple dont on ne peut totalement se débarrasser. Car il n’existe pas d’amour parfait et le partenaire amoureux ne peut combler tous nos fantasmes et attentes. En conséquence, il est difficile de ne pas lui en vouloir un peu, à cet autre qui ne nous comble pas totalement ! C’est d’abord la frustration qui provoque l’agressivité La réponse n’est certes pas très agréable à entendre, mais on ne peut éradiquer l’agressivité de la vie d’un couple. Je dirais même que la définition d’une relation « réussie » entre partenaires amoureux consiste en la capacité de chacun à supporter la part d’agressivité de l’autre. Si nous sommes capables d’assumer celle-ci chez l’autre, le couple durera. En d’autres termes, aimer c’est satisfaire l’autre… partiellement. On ne peut satisfaire pleinement son conjoint, en conséquence cette part non satisfaite réclame ce qu’elle veut, à savoir ce fantasme d’être comblé. Et ce, potentiellement par les voies de l’agressivité.

     . 

La peur de l’autre

La deuxième raison de l’agressivité est que notre propre personne est elle-même notre propre prison. Se détacher un peu de soi est dérangeant et difficile. Tout simplement, notre narcissisme est l’élément qui déclenche de la haine envers tout ce qui nous entoure et qui voudrait nous aliéner. Freud considère que le sentiment de haine précède celui de l’amour, car avant tout, le petit enfant perçoit le monde extérieur comme une menace pour son existence. Ce principe d’auto-conservation est essentiel pour notre survie, mais la contrepartie en est la difficulté à se débarrasser un tant soit peu de notre « moi ».

     Lorsque nous trouvons l’amour, nous éprouvons un sentiment de liberté que nous pouvons expliquer comme étant la découverte de la possibilité de sortir un peu de la prison de notre « moi », ou au contraire comme étant la sublimation de notre narcissisme, car enfin un autre nous aime. Quoi qu’il en soit, aimer l’autre nous propulse en dehors de nous-mêmes (nous fait pousser des ailes). Cependant nous avons en retour l’impression d’être aliéné à l’autre. C’est ce sentiment qui provoque de l’agressivité envers l’autre, car celui-ci est à nouveau perçu comme une menace pour le « moi ».

     Cela explique les jeux incessants de la relation amoureuse : enclencher une bonne dispute et ensuite se retrouver dans les bras. Une façon de dire à travers la dispute « je ne suis pas dépendant et aliéné par toi ». Une fois que cela est dit on peut s’« aliéner » à nouveau, de la façon la plus forte, pour ensuite commencer une nouvelle dispute, etc…

     Il y a d’autres raisons plus profondes qui expliquent la violence et l’agressivité dans le couple. De manière générale, l’homme ressent, même de manière inconsciente, un peu de haine et de mépris envers le sexe féminin, et ce malgré l’avancée de l’égalité des sexes. La théorie freudienne considère que l’homme a été, dans sa jeunesse, féminisé par son père, lorsqu’il a compris qu'il n'y avait que celui-ci qui pouvait satisfaire sa mère et non lui, le petit garçon. Il a donc compris que son père possédait quelque chose que lui n’avait pas. Depuis ce moment l’homme est féminisé car il a aimé ce père qui lui a permis de se détacher de l’amour étouffant de sa mère. Pourtant c’est un petit garçon et il va devoir échapper à cette féminisation, il devra se faire violence pour être un homme (ce qui explique la violence des petits garçons et leur agressivité, comportements plus rares chez les petites filles). La violence et l’agressivité des hommes envers les femmes s’expliquent par le besoin qu’ils ont de se rassurer, d’affirmer qu’eux-mêmes sont sortis de la féminisation provoquée par leur père[1].

     L’intérêt d’entreprendre une thérapie lorsque nous sentons que l’agressivité et la violence dans le couple prend une place trop importante, est de réaliser un travail de compréhension, de s’interroger quant à l’origine de cet excès d’agressivité.

Jusqu'à présent nous avons décrit l’agressivité d’un point de vue général. Toutefois, les raisons personnelles qui peuvent expliquer l’agressivité sont aussi nombreuses et différentes que les individus concernés. Il est possible que cette agressivité provienne d’une haine à l’égard d’un des parents ou encore qu’elle soit l’expression d’une jalousie féroce pour son conjoint et sa réussite. Il est possible qu’une frustration ne trouve pas les mots pour se faire entendre et que l’agressivité soit le dernier recours du conjoint pour être entendu.

     En conclusion, si l’on s’aperçoit qu’un excès d’agressivité s’installe dans la relation – que ce soit par l’insulte, le mépris ou tout autre symptôme qui provoque une souffrance insupportable – il est important d’entreprendre une thérapie individuelle ou en couple. L’objectif d’une thérapie n’est pas d’éradiquer cette agressivité, mais d’abord de trouver les mots pour rétablir un équilibre sain dans le couple, afin que la colère soit utilisée de manière plutôt bénéfique à l’Éros que destructrice, marque de Thanatos.

 

 

[1] Pour des explications plus détaillés sur certaines thèses résumées dans la présente revue, on pourra se reporter à l’excellent ouvrage de l’élève de Jacques Lacan et Françoise Dolto, Gérard POMMIER, Du bon usage érotique de la colère. Et quelques unes de ses conséquences…, éd. Flammarion, coll. Champs essais, 2011. Ouvrage à la fois théorique et illustré par de nombreux cas cliniques.